Je vous propose de temps en temps de nous arrêter sur une photo connue qui me plaît bien en la décortiquant un peu et en essayant de retrouver son histoire, en voici une de Robert Capa, falling soldier.
Cette photo est plus que connue, elle a fait le tour du monde. En effet comment ne pas être accroché par une scène d’une telle force? Pourtant d’un point de vue technique photographique on pourrait ergoter sur le cadrage, la netteté, mais là ça n’a aucune espèce d’importance tant l’impact visuel de la photo est fort. Je pense même que ces imperfections typiques d’un instant fugitif pris dans des conditions difficiles renforcent l’impact visuel de la photo.
Cette photographie prise en 1936 lors de la guerre d’Espagne porte également le nom de «l’instant de la mort». Capa a capturé cet instant ou un combattant passe de vie à trépas. On peut éprouver une certaine gêne de « voyeur » en la regardant mais comme toute photo de guerre elle ne fait que témoigner de la cruauté et de l’inhumanité du conflit impitoyable auquel s’est livré le peuple espagnol de 1936 à 1939.
Mais cette photographie a aussi son histoire……..
Ce qui est troublant c’est qu’au fil du temps des incertitudes se sont faites jours quant aux circonstances de sa réalisation :
- à ce jour son négatif est introuvable, on ne peut que s’appuyer sur les différentes publications de la photo ce qui peut poser question sur son cadrage original et même sur l’identité de son auteur,
- l’identification du combattant s’est avéré inexacte,
- la date de la prise de vue (5 septembre 1936) est contestée,
- le lieu ou la photo a été prise s’est également avéré faux.
Ça fait beaucoup d’incertitudes pour une photo qui a fait le tour du monde et cela a renforcé les spéculations sur son authenticité. En relisant le remarquable ouvrage consacré à R.Capa que je cite dans les sources à la fin de cet article, on peut résumer ce que l’on sait de cette photo de la façon suivante :
- rien ne permet de démontrer que R.Capa n’est pas l’auteur de cette photo, sa présence sur le lieu de la prise de vue a été attestée,
- la thèse la plus certaine est que Capa a photographié le milicien au moment ou il est frappé par un tir de mitrailleuse soudain,
- la date reste incertaine mais comprise entre fin août et début septembre 1936,
- il a été prouvé sur la base de recherches comparative avec une photographie prise au même endroit que « falling soldier » notamment sur la ligne de crête au second plan que la photographie a été prise Espejo (et pas à Ceno Muriano) qui sont deux villages situés près de Cordoue.
Au final cela montre que l’histoire d’une photographie n’est pas toujours certaine et que cela peut conduire à remettre en cause son authenticité. Mais quand on la regarde on est seulement pris par ce qu’elle montre et ce qu’elle nous suggère, on ne se pose pas tout de suite la question de savoir si elle est authentique ou pas.
C’est bien là tout le pouvoir d’une telle photo, quand on la regarde elle parle à nos sentiments et pas à notre raison, elle nous emporte sans nous demander notre avis. C’est un pouvoir immense : celui de l’image.
Source :
Le très beau livre « Robert Capa, traces d’une légende »
de Bernard Lebrun &t Michel Lefebvre
aux Editions de La Martinère (2011).