Publié le 03/06/2023
Sources : les informations sur le droit contenues dans cette publication sont principalement issues de deux ouvrages de Joëlle Verbrugge : « Parcours juridique, la photographie de rue » (autoédition Joëlle Verbrugge) et « Droit à l’image et droit de faire des images » 2e Edition (Edition Knowware).
Contexte
Dans le cadre de mes activités photographiques je fais de la photographie de rue. Le but de cette page est de synthétiser les éléments de droit qui entrent en jeu quand je photographie une ou des personnes dans l’espace public avec ensuite une éventuelle diffusion a titre artistique et non commerciale sur mes sites hgsitephoto.com et rennesphotos.fr. Ce qui suit s’applique à ce contexte.
Définition de la photographie de rue
Elle n’a pas de définition juridique. La définition que propose Wikipédia est intéressante : « La photographie de rue (« Street Photography » en anglais) est une pratique de la photographie en extérieur, dont le sujet principal est une présence humaine, directe ou indirecte, dans des situations spontanées et dans des lieux publics comme la rue, les parcs, les plages ou les manifestations. ».
Droit et espace public
L’espace public est constitué des voies publiques ainsi que des lieux ouverts au public ou affectés à un service public.(Loi n° 2010‑1192 du 11 octobre 2010-article 2).
La jurisprudence définit un lieu ouvert au public comme étant « un lieu accessible à tous, sans autorisation spéciale de quiconque, que l’accès en soit permanent et inconditionnel ou subordonné à certaines conditions ». (TGI de Paris, 23 octobre 1986, confirmé par un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 19 novembre 1986).
Ainsi, l’acquittement d’un droit d’entrée ne fait pas obstacle à ce qu’un lieu soit regardé comme ouvert au public. En revanche, la circonstance qu’un digicode garde l’entrée d’un hall d’immeuble ou d’un parking fait de ces endroits des lieux privés.
Doivent être considérés comme faisant partie de l’espace public les commerces (cafés, restaurants, magasins), les cinémas et théâtres, les établissements bancaires, les gares, aérodromes et transports collectifs, ainsi que les jardins, forêts ou plages lorsqu’ils sont publics. A contrario, ne doivent pas être considérés comme relevant de l’espace public : les entreprises, les chambres d’hôtel ou d’hôpital, les locaux associatifs, les immeubles sauf lorsqu’ils comprennent des espaces dédiés à l’accueil du public.
Certains lieux ouverts au public peuvent éventuellement faire l’objet d’une « privatisation » lorsque, par la volonté des occupants, ils sont pour l’occasion réservés à un usage strictement privé, par exemple un débit de boissons ou une salle de spectacles utilisés pour une réunion privée.
A retenir pour la prise de vue dans l’espace public
Sauf s’il existe localement des arrêtés préfectoraux qui l’interdise, ou s’il existe une disposition spécifique qui le précise pour un lieu particulier, rien ne s’oppose à la prise de photographies dans l’espace public. C’est le cas de la photographie de rue avec des sujets humains. Dans ce contexte vous ne pouvez pas vous opposer à la prise de vue si vous êtes photographié et le photographe n’a pas l’obligation légale de solliciter votre consentement. Vous ne pouvez pas demander au photographe l’effacement d’une photo même si vous y êtes reconnaissable. La question d’une éventuelle atteinte au droit à l’image ne se pose qu’ensuite au moment de la diffusion.
Ceci étant si vous vous rendez compte que vous avez été photographié et si cela vous gêne, un dialogue apaisé avec le photographe est la meilleure solution. Il pourra vous montrer la photo, vous expliquer sa démarche artistique et vous rassurer quant à la diffusion de la photographie.
Droit et diffusion des photographies
Dans le contexte de la photographie de rue dès que l’on diffuse une photographie mettant en scène une ou des personnes, deux principes contradictoires sont à considérer.
D’un côté le droit à l’image. La personne photographiée peut l’invoquer pour empêcher la diffusion d’une photographie où elle figure. Ce droit n’est pas prévu par la loi de façon générale. Les tribunaux l’on extrapolé à partir notamment de l’article 9 alinéa 1 du code civil : « Chacun a droit au respect de sa vie privée ». Ce droit figure aussi dans la Convention Européenne de Droits de l’Homme (CDEH), article 8 alinéa 1 : « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. »
De l’autre côté le droit à l’information, à la libre expression y compris la liberté de création artistique peuvent être revendiqués par le photographe. Ces droits sont définis dans plusieurs textes dont l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (France) ; l’article 10 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales (Conseil de l’Europe) ; l’article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (Nations Unies).
La jurisprudence a apporté une réponse à ce conflit potentiel notamment au travers d’un arrêté de la Cours d’Appel de Paris en 2008 dans le cadre de l’affaire opposant une plaignante au photographe François-Marie Banier : « ceux qui créent, interprètent, diffusent ou exposent une œuvre d’art contribuent à l’échange d’idées et d’opinion indispensable à une société démocratique /…/ le droit à l’image doit céder devant la liberté d’expression chaque fois que l’exercice du premier aurait pour effet de faire arbitrairement obstacle à la liberté de recevoir ou de communiquer des idées qui s’expriment spécialement dans le travail d’un artiste, sauf dans le cas d’une publication contraire à la dignité de la personne ou revêtant pour elle des conséquences d’une particulière gravité » (CA Paris, 5/11/2008, 06/03296, I. de C. c/ Gallimard).
C’est une jurisprudence donc elle peut évoluer dans le temps et il revient au magistrat d’apprécier l’existence des critères de « contraire à la dignité de la personne » et « des conséquences d’une particulière gravité ». Toutefois ainsi définie elle a le mérite d’offrir un cadre assez clair aux protagonistes impliqués dans la photographie de rue.
A retenir pour la diffusion
Sur une photographie de rue donc dans un espace public, si la personne n’est pas reconnaissable il n’y pas de façon générale de problème de diffusion de l’image, elle peut être publiée sans accord préalable. Si la personne est reconnaissable l’accord n’est pas obligatoire tant que la photographie n’est pas :
- Contraire à la dignité de la personne
- Susceptible de causer à la personne « des conséquences d’une particulière gravité »
La personne qui souhaiterait empêcher la diffusion de la photographie en saisissant un tribunal devra apporter les arguments démontrant l’existence d’au moins un de ces deux critères.
Bien sûr là encore un dialogue serein avec le photographe est plus que recommandé pour éviter tout litige. Avant la diffusion le photographe doit mesurer le risque et au besoin mettre en place une autorisation de diffusion validée avec la personne où seront précisés notamment les modes de diffusion.
RGPD
Le Règlement Général sur la Protection des Données est entré en vigueur en 2018. C’est donc assez récent et la jurisprudence en la matière n’est pas assez fournie pour mesurer son éventuelle influence sur la pratique de la photographie de rue. Y compris pour le droit à l’oubli numérique, le RGPD n’est pas au-dessus des autres règles telles que le droit le droit à l’information, à la libre expression et à la création artistique.
Quelques liens
Peut-on prendre en PHOTO des gens dans LA RUE ? – Vidéo – Thomas Hammoudi
On a le DROIT de PHOTOGRAPHIER des INCONNUS dans la RUE ? – Vidéo – Entretien avec Joëlle Verbrugge – Som Picture
La jurisprudence ne perd pas la tête – Article – Blog droit et photographie de Joëlle Verbrugge